Xavier voulait traverser la route. Nina, sa fiancée, habitait de l’autre côté. Debout sur le bord, il regardait la file continue de véhicules. Il n’en croyait pas ses yeux. C’était surréaliste. Lorsqu’il s’était endormi, la route n’avait qu’une file. Et lorsqu’il s’était réveillé, elle en avait trois dans chaque sens, trois files de voitures bruyantes et de camions monstrueux qui se suivaient sans discontinuer. Incrédule, il secoua la tête. Il se crut en plein cauchemar.
Cela faisait un an qu’il n’avait pas vu Nina. Ils s’étaient rencontrés au printemps sur un petit chemin de terre juste de l’autre côté de cette route. C’était près d’une barrière de bois vieilli sur lequel s’épanouissaient des liserons blancs. Ils étaient tombés amoureux au premier regard. Mais chacun avait dû repartir, le cœur gros, pour mener sa vie de son côté. Avant de se séparer, ils avaient convenu de se retrouver ici exactement un an après. Il y avait pensé toute l’année. Il avait rêvé et douté aussi. Mais elle avait tenu parole. Elle était de l’autre côté de cette monstrueuse route, et il risquerait sa vie s’il le fallait pour la retrouver.
Cela faisait des heures qu’il attendait ainsi, mais la circulation était incessante. Il arrivait parfois à entrevoir Nina entre deux voitures. Il mit un pied sur la chaussée, mais dût reculer aussitôt. Les véhicules allaient très vite, et il faillit y perdre quelques orteils. Il décida alors de longer un peu la route afin de voir s’il serait plus facile de traverser à un autre endroit. Il chercha un tunnel ou un pont qui aurait poussé pendant la nuit, pendant que la route passait d’une file à trois. Il chercha en vain. A son retour, Nina s’éloignait, comme à regret. Il sentit son cœur se serrer.
Les véhicules allumèrent leurs phares. Il attendit encore. Peut-être que la nuit, il y aurait moins de circulation. Peut-être qu’il pourrait traverser. Il savait qu’il aurait dû aller manger, mais voir Nina s’éloigner tristement lui avait coupé l’appétit. Cette route apparue de nulle part lui coupait l’appétit. Le bruit et l’odeur de ces diables de véhicules lui retournaient l’estomac. Et plus que tout, une pensée terrible le hantait.
« Et si Nina n’était là que pour une journée ? Et s’il fallait qu’elle reparte, comme l’an passé ? Peut-être ne viendrait-elle plus… »
Le cœur battant, il s’élança sur la route et courut aussi vite qu’il le put à la poursuite de sa bien-aimée. Il y eut des bruits assourdissants tout autour de lui, le souffle des véhicules, la lumière des phares, et tout à coup, la douleur. Il fut heurté. Il sentit sa hanche craquer. Il ne pouvait plus courir. Il roula, et avec une chance inespérée atteignit l’autre côté de la route.
Lorsqu’il reprit conscience, il pouvait à peine marcher, mais il se crut au paradis. Xavier reconnut le parfum de la belle Nina. Elle n’était pas loin. Il la trouva, au pied du piquet de bois vieilli où ils s’étaient rencontrés. Elle dormait, roulée en boule au creux du fossé. A son approche, elle se déplia. Il avait oublié combien ses yeux noirs brillaient et combien ses épines luisaient. L’hibernation l’avait rendue plus belle encore. Et avec émotion, il vit frémir sa petite truffe humide de hérissonne.
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